Vallois Moderne & Contemporain

KIFOULI DOSSOU

Kifouli Dossou, le maître sculpteur Gèlèdè

« Un sculpteur d’une dextérité stupéfiante… ».La virtuosité de Kifouli Dossou n’a pas échappé à l’œil expert de Philippe Dagen (1). Sculpteur sur bois depuis son adolescence, établi dans son village de Naogon au sud est du Bénin, Kifouli a hérité du talent, des mains habiles et de la maîtrise parfaite de son grand frère Amidou Dossou. Disparu prématurément en 2013 à l’âge de 47 ans, Amidou accède à la consécration internationale en 1989, à l’occasion de la légendaire exposition « Magiciens de la terre » au Centre Pompidou. Du haut de ses 8 ans à l’époque, le sculpteur en herbe observe et apprend dans la cour familiale l’art de créer avec patience et finesse les masques Gèlèdè. Voyant partir pour Paris les 10 œuvres superbes (2) conçues spécialement pour l’occasion par son magicien de frère, le petit Kifouli se prépare déjà à lui succéder. Son destin d’artiste est scellé…

Covè, la ville natale des 4 frères Dossou (Kifouli étant le cadet),se situe à mi-chemin d’Abomey et de Kétou . Si la famille Dossou est d’origine, de tradition et de langue fon, elle beigne aussi dans la grande culture yoruba, dont le genre oral Gèlèdè constitue un des fleurons, inscrit par l’UNESCO sur la liste représentative du patrimoine immatérielle de l’humanité. Kétou, royaume yoruba jadis prestigieux et épicentre historique du culte Gèlèdè se situe 40 kilomètres à l’est de Covè, à quelques encablures du Nigéria voisin. Le rite de fertilité Gèlèdè, hommage aux « Mères » et aux femmes, reste actif dans toute la région. Covè en est depuis des décennies la place forte en matière de fabrication des masques. L’œuvre de Kifouli s’inscrit ainsi dans une tradition séculaire et répond à des canons esthétiques yoruba fondamentaux, propres aux visages des masques heaumes Gèlèdè : Des yeux en amandes, des oreilles en point d’interrogation, des scarifications sur les joues et/ou le front, une bouche fermée… Ce traitement conventionnel du faciès s’accompagne néanmoins du « style » très caractéristique de Kifouli, alliance de douce sensualité et de force vitale. Les sculpteurs Gèlèdè jouissent de longue date d’une grande liberté dans le traitement de la partie supérieure des masques, comme l’explique Rachida de Souza, la grande spécialiste du sujet : « …les superstructures, parfois très complexes, font appel à une imagerie foisonnante de diversité, où l’artiste peut donner libre cours à son imagination… »(3). Kifouli ne s’en prive pas !

Il sculpte ses chefs d’œuvre monoxyles dans la masse des billes de mérina achetés en gros auprès de bucherons dans un village voisin de Covè. Il apprécie ce bois blanc, léger et résistant…mais dur à travailler. Patiemment, Kifouli dompte et ciselle sa matière, conjuguant avec amour tradition et contemporanéité. Formé par son frère, il a à son tour transmis les secrets de fabrication à ses neveux Wabi et Soumaïla, les deux fils d’Amidou. La relève est bien assurée.

De Milan à New York, de Sao Paulo à Dakar, de La Havane à Nice, de Cotonou à Paris, les sculptures délicates et raffinées de Kifouli Dossou nous hypnotisent, nous charment et nous saisissent. Au fil des évènements et des expositions, à la veille de ses 40 printemps, sa notoriété ne cesse de grandir. Au paradis des magiciens en compagnie de Frédéric Bruly Bouabré, de Cyprien Tokoudagba et de Georges Liautaud, Amidou peut-être fier !

Jean-Yves Augel

Juillet 2017

(1) Le Monde, 25 novembre 2013.
(2) Les masques en question figurent aujourd’hui dans les collections du Musée du quai Branly.
(3) Pour une reconnaissance africaine, Dahomey 1930 - Editions VILO, 1996.