« Le Bénin est un pays où les traditions sont très présentes. Et les traditions sont, avant tout, l’expression de la spiritualité très riche qui caractérise les cultes, imprègne la vie quotidienne et le geste créateur de l’artiste. Ce n’est donc pas un hasard si les œuvres des artistes béninois sont marquées par une très forte charge émotionnelle. Elles parlent directement à la sensibilité de l’homme. »
André Jolly, Extrait de l’ouvrage : Artistes contemporains du Bénin, Artistes du Monde, Ed. Galerie Vallois, 2019.
C’est dans les rues de Porto Novo que Gérard Quenum récupère les poupées abandonnées pour en faire des sculptures. Est-ce parce que, encore très jeune, il a dû quitter l’école pour travailler que devenu artiste Quenum s’est attaché à l’un des principaux symboles de l’enfance ? Est- ce pour mieux dénoncer la souffrance, les violences et l’injustice subie par des enfants, victimes innocentes, partout dans le monde et pas seulement en Afrique qu’il déstructure, recompose et peint ses poupées ? Des visages aux têtes brûlées au chalumeau, aux yeux sortis des orbites et aux cheveux partiellement arrachés provoquent dans un premier temps un certain effroi chez celui qui les observe. Comment ne pas songer au vodoun et aux rites – réels ou fantasmés – de cette religion ? Pourtant, et ce bien que sa grand-mère ait été une prêtresse de l’ancienne religion officielle du Dahomey, ce n’est pas le vodoun en tant que tel que Gérard Quenum représente dans ses œuvres, mais la persistance du poids de ses symboles dans la société béninoise. « A travers mes œuvre je dénonce ce qui est inacceptable. » Déclare Quenum. « Les enfants ne sont pas responsables de la guerre et pourtant ils en sont les premières victimes. Quand je pense à tout cela, je suis en communication spirituelle avec eux. » Affirme-t-il avec émotion.
C’est guidé par la même émotion créatrice que pro- cède Kifouli Dossou. Ce sculpteur est né et vit à Cové, au cœur de la région où la communauté Nago Yoruba pratique les cérémonies du culte féminin des Guélédé. Kifouli a grandi bercé par les chants, la musique et les danses masquées qui rythment les temps forts de la vie comme la fin de récoltes, la sécheresse, les épidémies, les naissances, décès ou mariages. Depuis plusieurs générations, c’est au sein de la famille Dossou que naissent les principaux sculpteurs des masques cérémoniels Guélédé. Et c’est naturellement auprès de son frère Amidou que Kifouli s’est initié à l’art délicat de la sculpture, art que lui-même a enseigné par la suite à ses neveux.
Kifouli Dossou a transcendé la fonction strictement cérémonielle, sacrée des masques Guélédé pour leur donner un caractère artistique jusque-là inédit. Il y représente des scènes de la vie quotidienne aussi bien que d’autres idées liées au culte vodoun. Toutefois si nombre de ses masques trop petits ne pourraient pas être utilisés dans le cadre des cérémonies, il n’y a rien d’irrévérencieux dans la démarche de Kifouli, puisque, bien au contraire, c’est dans la tradition Guélédé qu’il puise son inspiration. « Je suis un sculpteur de Guélédé. Dans ma tradition, le Guélédé est sacré, il est montré lors des cérémonies pour des rituels. Je m’inspire de ma tradition pour essayer d’éduquer, pour essayer de sensibiliser. »
Kifouli Dossou sculpte directement dans le bois, principalement les bois appelés le Hlan Can Cui, le Kpon-Kpon et le Mérina. Après avoir sculpté le masque, Kifouli Dossou le peint ou, plus rarement, le laisse à l’état brut.