Il y avait eu cette série américaine des années 1980, 110 épisodes, avec un ange descendu sur la terre qui tentait de faire le bien, et d’apporter un peu de réconfort aux pauvres humains. Un ange très humain, copain d’un flic amer tant il avait vu de méchanceté parmi les hommes. Fort peu d’al- lers et retours entre le ciel et la terre, tout se jouait ici bas, pour éviter que l’ici-bas ne soit un enfer. Le titre en était Les routes du paradis, traduction de Highway to Heaven. Aller vite au paradis, le plus vite possible : pluriel,
singulier, routes, autoroute. On aurait cru, en se rappelant les contes et légendes de la Genèse que ce qui se réglait au plus vite, c’était la chute, la sortie hors du paradis. L’iconographie n’est pas avare de ces chemins que parcourt, quelque peu égarés et désespérés, le couple premier. Sortir du paradis se fait au soir, à la brune, quand Dieu parcourt son jardin et comprend que ses deux créatures ont appris, contre sa mise en garde, ce qu’il en est du bien et du mal. La liberté de la connaissance a un prix : la sortie de route, une descente vers la dureté et la douleur. Eve et Adam nus, pris de honte et courbés sous le poids du châtiment encouru commencent à cheminer. Retrouver la route du paradis ? Revenir sur ses pas est impossible : sens unique, donc. Dante avait ainsi décrit notre parcours sur la terre, à l’ouverture de La Divine Comédie : « Au milieu du chemin de notre vie / je me retrouvai par une forêt obscure / car la voie droite était perdue. » Le travail de Stéphane Pencréac’h est depuis longtemps marqué par la perte de la « voie droite ». De faux prophètes se targuent aujourd’hui de vendre des promesses mirages d’un accès au paradis. Et ils y parviennent, auprès de quelques-uns. La force de dénonciation que détiennent les tableaux et sculptures de Pencréac’h est à la mesure du mensonge meurtrier fait « sous le regard bienveillant de Dieu ». Un tableau et un bronze partagent cette dénomina- tion terrible : la bienveillance sans pitié.
Daniel COHN